Dans les foyers kabyles, les plats traditionnels
tiennent une place prépondérante dans la cuisine familiale. Outre les valeurs nutritives incontestables de ces mets, cette tendance que les temps n’ont pas changée permet de maintenir vivant un art culinaire séculaire. Cependant, des personnes, mieux informées, mieux équipées et disposant d’ingrédients autrefois rares, tentent de donner à cette cuisine traditionnelle un aspect moderne notamment sur le plan esthétique.
Ah ! Les bons plats de grand-mère !
Pour connaître l’engouement des habitants de la Kabylie pour leur cuisine traditionnelle, il n’y a qu’à se rapprocher des restaurateurs de la région qui en sont les mieux placés pour nous instruire. Idir, restaurateur à Akbou, est catégorique : « Il suffit d’afficher sur son menu Couscous, Ameqfoul, Tiâasbanine, Aghrom, Tikourbabine, etc. pour voir sa clientèle monter en flèche ! Les gens en raffole des plats de chez nous». La même frénésie est réservé aux pâtisseries locales, tels lefendj (les beignets), tahboult n’tmelleline (l’omelette kabyle), Tighrifine (les crêpes), etc. dans les cafétérias et pâtisseries. Par ailleurs, les libraires de la région affirment que les livres de cuisine kabyle sont les plus demandés parmi les livres de recettes.
Néanmoins, les plats cuisinés dans les restaurants sont loin d’égaler ceux préparés par nos bonnes vieilles grand-mères. On ne prépare pas un plat traditionnel en suivant des instructions d’une recette. Plusieurs éléments subjectifs ne peuvent être expliqués dans un livre, tels le rythme dont chacun cuisine, la qualité des ingrédients, les proportions exactes, la nature des ustensiles, etc. La cuisine kabyle est une cuisine du coup d’œil. La cuisson tient également une plus prépondérante. Il faut savoir cuire sans nuire. Farida Ait-Ferroukh et Samia Messaoudi, nous expliquent dans leur ouvrage de référence, Cuisine kabyle, (Edisud, Aix-en-Provence, 2004) qu’il existe quatre principaux modes de cuisson : cuisson à la vapeur, cuisson sous forme de bouillon, cuisson sous forme de soupe et la cuisson dans l’eau ou du lait.
Selon le même ouvrage, l’alimentation kabyle assurerait la longévité et une excellente santé. Les céréales constituent l’aliment indispensable et incontournable. Le secret réside dans la manière de les traiter et des techniques de maniement de la pâte (pétrissage, aplatissement,...).
en raison de la composition nutritive des principaux éléments et de la manière dont ils cuisinés. En revanche, les nouveaux modes de cuisson dévitalisent les aliments, tels les feux très vifs, les autocuiseurs, etc. Pis, l’introduction du four à micro ondes et du papier aluminium complique davantage la situation.
Quand la nourriture rapproche les gens
Slimane Azem –paix à son âme- disait : « Yak rebbi-tnegh yiwen, an-neçç kan am’atmaten, deg yiwen udebsi » (Nous sommes tous des fils d’un Dieu Unique, autant manger en frères dans un plat unique). Ce passage à lui seul en dit long sur les liens familiaux et sociaux qui s’établissent et se renforcent autour de la nourriture dans la société kabyle. En effet, le repas est l’instant chaleureux où toute la famille se réunit pour manger autour d’un seul et même plat. La symbolique est de taille. Dans certaines familles, avant de commencer à manger, l’aîné ou le père récite une prière dans un silence religieux. Si un membre de la famille est absent, selon la tradition, une cuillère est posée à sa place comme s’il était toujours présent. A la fin du repas, notamment au dîner, c’est l’occasion de discuter en famille, un moment privilégié de communication.
La nourriture ne rapproche pas seulement les membres de la même famille mais aussi les voisines et les voisins. « J’adore partager les repas que je prépare avec mes voisines et goûter à tout ce qu’elles préparent. J’aime qu’on apprécie mes repas. C’est très important pour mon épanouissement en tant que femme », confie Hayet, 32 ans, mère d’un enfant.
Ces propos dénotent on ne peut mieux l’importance qu’accordent les filles et les femmes à l’apprentissage de la cuisine. « Pour les parents, une fille bien élevée est aussi une fille qui sait bien cuisiner en particulier les plats traditionnels, peu importe qu’elle sache préparer ou non les « nouveaux » plats venus d’ailleurs », nous explique notre interlocutrice avant d’ajouter : « On donne aussi une importance capitale à la propreté. Par exemple, avant d’entamer la préparation d’un mets, une femme doit obligatoirement mettre le foulard (timehremt) sur la tête afin d’éviter qu’un cheveu ne tombe dans la soupe, ce qui est en soi un sacrilège ! Par ailleurs, la plupart des jeunes filles d’aujourd’hui sont instruites et au diapason de ce qui se fait ailleurs, elles s’initient à l’art culinaire chez elles et certaines d’entre elles réussissent un travail comparable à celui des cuisiniers professionnels ».
Le couscous (appelé Seksou chez les Kabyles) est désormais « un plat transculturel», le plus internationalisé des plats berbères. "Victime de son succès, le couscous subit le même sort que la pizza et est désormais accommodé à l’orange, aux crevettes, [...]", pour reprendre un passage du livre cité plus haut. Seksou est sans doute le plus consommé dans la région. Sa recette peut être différente d’une région à une autre. Il peut être préparé avec ou sans viande. Avec ou sans sauce. Avec des légumes frais ou des légumes secs. Avec des herbes fraîches au printemps ou des épices moulues. Toutes les viandes s'apprêtent à la préparation : mouton, boeuf, poulet, lapin, gibier et même le gras double.
Ce mets est le roi de la fête en Kabylie. Il est servi lors des fêtes familiales (mariage, circoncision, etc.) et des fêtes traditionnelles et religieuses (Yennayer, Anzar, tsebyita, taâachourt, etc.)
Le couscous est aussi le plat préparé à l’occasion d’un décès. « Ce qui est énigmatique, c’est que même quand la recette est la même, sa saveur diffère selon qu’on le mange à l’occasion d’une fête de mariage, à la maison ou à l’occasion d’un décès. C’est cela le secret du couscous aussi », nous dit M. Tarik, jeune enseignant au secondaire.
Le pain ne peut remplacer la galette
La galette (Aghrom) est confectionnée quotidiennement et servie à tous les repas. Elle est même indispensable pour beaucoup de personnes. C’est le cas dans la famille de Ferroudja, mère de famille, qui nous dit : « Mes enfants ne mangent pas le pain, ils me réclament tout le temps « aghrom » et je suis obligée de leur préparer jusqu’à six galettes par jours ! Même au petit-déjeuner, ils préfèrent tartiner des tranches de galette bien chaudes ! Ils ne soucient pas que la semoule et l’huile d’olive soient trop chères ! »
La galette est une pâte pétrie de forme ronde, traditionnellement cuite dans le poêlon de terre. Les ingrédients pour la préparer sont la semoule fine, le sel, l’huile d’olive, de l’eau légèrement tiède. Les mêmes gestes sont répétés de mère en fille et depuis plusieurs générations : d’abord, la femme mélange la semoule avec le sel dans un grand plat (Tarvouyt), ensuite elle verse de l’huile d’olive et remue jusqu’à ce que les grains soient bien huilées. Elle mouille le tout avec de l’eau et le pétrit jusqu’à ce qu’elle obtienne une pâte bien lisse et ferme qu’elle divise en deux boules et qu’elle étale avec ses mains ou à l’aide d’un rouleau à pâtisserie. Elle obtient un disque dont l’épaisseur varie selon les goûts (généralement de 1 à 2,5 centimètres). Elle le pique à l’aide d’une fourchette à divers endroits et la fait cuire sur le poêlon précédemment chauffé et huilé et ce, jusqu’à ce que la galette prenne une belle couleur dorée ! La manger toute chaude imbibée dans de l’huile d’olive est un vrai régal !
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